Texte/ Press
Texte de Geoffrey Chautard, collectif Pourparlers, 2022
Souvenir Empreint est une vidéo-performance filmée en plan fixe durant laquelle on voit la main d’Alice étreindre celle de l’être aimé. Cette dernière prend la forme d’une moulage en cire qui s’embrase jusqu’à se fondre lentement et disparaître dans la sienne.
Dans un dispositif faisant la part belle à l’interprétation, Alice convoque ici notre subjectivité, notre sensibilité, notre expérience et notre rapport à l’Amour: aux relations amoureuses. [...]
Souvenir Empreint c’est l’épreuve du feu. L’épreuve de notre amour supposé face au temps qui l’éprouve et le consume. C’est se fondre dans l’autre jusqu’à s’oublier soi-même. C’est souffrir, c’est résister à l’envie de tout lâcher. C’est tout reprendre sans cesse.
Texte à retrouver en intégralité sur le site suivant:
Souvenir Empreint, Pourparlers, Geoffrey Chautard, 2022, url: https://www.pourparlers.org/alice-charton
Interview pour DijonMag, 2022
Texte de Laurent Reyes, 2022
“02/03/2019
Toujours pas de réponse d’Akram [...] Akram : NEXT.
Rencontre avec un pompier, Alexis, hier soir”.
Dans cet extrait de son édition “Plan-cul”, comme dans ces performances filmées et ses vidéos, ses photographies, ses moulages, ses dessins, collages, céramiques et même un tatouage qu’elle s’est fait faire au bout des doigts, l’artiste Alice Charton aborde le sentiment et les relations amoureuses pour évoquer le languissement, l’écœurement, la vitesse, la succession et le souvenir de la sensation attenante.
Un “après relation” ou un “entre relation” qu’elle symbolise, magnifie ou ritualise.
Si elle emploie divers média, la substance de son propos est puisée uniquement dans son vécu, réel ou fictionnel. Elle utilise son image, se met en scène et met à contribution ses amants pour produire des reproductions et des représentations fragmentées de leur corps afin de matérialiser le souvenir de leur présence.
Les relations intimes et amoureuses sont aujourd’hui fugaces, fragiles, insaisissables et il me semble que le travail d’Alice Charton exprime et prolonge les sensations douces et douloureuses de l’amour et du désamour dans toute leur ambivalence. Le contact d’un amant absent ou parti est prolongé par un visage en savon qui s’amenuise, par un moulage en chocolat qu’elle dévore jusqu’à l’écœurement. L’écrin qui renferme la caresse d’un ex rappelle celui qui contient traditionnellement la bague de mariage, mais qu’il soit fait de chêne évoque aussi le cercueil. La rupture est douloureuse, mais pas moins sacrée que l’union.
Nous sommes loin de la collection de moulages de pénis en érection de personnalités célèbres produits par la groupie et artiste américaine Cynthia Plaster Caster. Alice nous parle d’elle pour parler des sensations universelles de manque, de passion, de l’instabilité des relations et du rapport à l’autre à l’ère numérique.
Je ne peux m’empêcher de penser à Clémence Elman qui réalise sa série photographique “Passe-moi le sel, tu veux” où elle se met en scène avec son grand-père dans des situations quotidiennes mais décalées afin, aussi, de garder un contact avec son grand-père. Peut-être qu’évoquer ses propres relations est aussi une manière pour Alice Charton d’en prendre distance, de retisser des liens, de la tangibilité et de la continuité dans un monde aux relations éclatées. Et pour nous, de nous projeter à travers ses mises en scène sans se sentir voyeur grâce à son recours à l’anonymat et la symbolique.
Eva Illouz fait du « désamour » dans La fin de l’amour un problème sociologique de première importance et examine l'ensemble des façons qu'ont les relations d'avorter à peine commencées, de se dissoudre faute d'engagement, d'aboutir à une séparation ou un divorce, ce qu'elle désigne comme des « relations négatives ». Alice Charton nous interroge aussi sur la place de l’amour dans notre monde occidental en délaissant le mythe usé de l’amour éternel et infaillible pour s'intéresser plutôt à la séparation. Mais à la différence de la sociologue qui vise à décortiquer les travers d’un capitalisme émotionnel, les œuvres d’Alice Charton donnent à la rupture une saveur mélancolique, aussi belle et sensuelle que l’amour lui-même, dont le désamour est son prolongement.